article: Le nationalisme turc – Quelle influence sur notre démocratie locale ?

Vu la présence des représentants des partis de l’opposition communale à notre dernière assemblée générale du 13 novembre 2007 ça m’a piqué de les interroger sur ce qui avait animé la campagne électorale à leur sujet: « Pendant la campagne électorale on a critiqué la hâte avec laquelle PS et Cdh semblaient avoir rempli leur listes avec des nouveaux ‘candidats d’ouverture’. Dans la presse on a épinglé dans les différentes communes bruxelloises un islamiste marocain par ci, un Loup gris (membre de l’extrême-droite) turc par là ; le PS Schaerbeekois a même déjà perdu un élu en cours de route (en l’ occurrence M. Murat Denizli ). Qu’en est-il aujourd’hui de la cohérence idéologique au sein des groupes Cdh et PS au Conseil Communal Schaerbeekois ? Récemment on pouvait encore lire que le conseiller Cdh Halis Kökten animait une manifestation devant l’ambassade américaine, non annoncée et donc “illégale. » [source1, source2].

M. Grimberghs (Cdh) s’empressait d’assurer que la confection de sa liste avait pris énormément de temps et qu’on ne pouvait donc pas parler de hâte. Selon lui, le Cdh avait pris le temps qu’il fallait pour discuter avec les candidats potentiels, et choisir les meilleurs. D’ailleurs, étant donné l’énergie que certaines personnes ont mis pour éplucher les candidatures allochtones, et n’en trouver finalement que quelques-uns exempts de faits extrémistes, il évalue ce travail comme plutôt bien réussi. Les nouveaux conseillers s’étaient bien intégrés dans son groupe, on partageait les tâches et ça marchait très bien.

M. Courthéoux (PS) de son coté répondait que si la section locale du PS connaissait des tensions internes, c’était principalement dû au conflit entre ceux qui étaient placés en haut de liste et ceux qui les ont dépassés lors du scrutin. À côté de cela, l’ouverture du parti aux nombreux croyants suscitait un certain réveil des adhérents du mouvement laïque au sein de la section. Mais si son groupe pleurait la démission d’un conseiller élu, ce n’était pas à cause des idées politiques de la personne concernée, mais uniquement parce que il déménageait dans une autre commune.

Pour rappel: en fait, ce candidat PS, M. Denizli, n’a pas déménagé après les élections, puisqu’il habitait depuis longtemps avec sa famille à Woluwe-St.Pierre et il ne s’est fait domicilier au-dessus de son snack à Schaerbeek que pour y participer aux élections, alors que sa famille était toujours domiciliée à Woluwe-St.Pierre…[source] Suite à la remarque concernant le fait que M. Denizli avait bien été président d’une association connue pour son appartenance aux « Loups gris »

[Denizli admettait lui-même à la télé qu’il « a été Président puis administrateur de l’Association culturelle turque, une vitrine du parti turc MHP (Parti d’Action Nationaliste) fondé par le leader historique de l’extrême droite turque Alparslan Türkes et qu’il a milité au sein de la Fédération turque de Belgique, la fédération qui regroupe en réalité les associations d’extrême droite nationaliste en Belgique. » [source]]

, M.Courthéoux répondait que primo il ne savait pas ce qu’était un Loup gris (…), et que secundo il avait discuté plus d’une heure avec le candidat concerné, ce qui lui avait donné la conviction que celui-ci n’était sûrement pas un Loup gris…

[On peut l’aider, par exemple par la lecture d’un rapport de la sûreté du land Rhénanie-du-Nord-Westfalie sur le sujet [source], publié en 2002, qui décrit que l’idéologie du « mouvement Ülkücü » ou « Loups gris » soit basé sur l’unification de tout les peuples turques/turcmènes dans un pays, la liquidation de toutes les peuples non-turcs dans ce pays, le racisme, l’antisémitisme, l’hostilité vis-à-vis des kurdes et le « Führerprinzip »…]

Là-dessus nous avions droit à une réaction de la conseillère Cdh Mahinur Özdemir, présente dans le public : elle précisait tout d’abord que toutes ces allégations ne venaient que d’une seule personne, « quelqu’un que nous avons l’habitude d’appeler un pseudo-journaliste », et d’ailleurs elle-même habitait depuis longtemps à coté des locaux de l’association présumée des Loups gris. Elle n’avait jamais remarqué d’activités qu’on pouvait qualifier d’extrême-droite.

Cette intervention ne pouvait pas être plus intéressante. Certes, elle a raison quand elle dit que la plupart des faits et propos radicaux ou fondamentalistes des candidats allochtones à Bruxelles ont été dénoncés par une seule personne, en l’occurrence M. Mehmet Koksal. Il est cependant intéressant d’observer dans quelle lumière elle se place elle-même en qualifiant ce collaborateur régulier et apprécié du « Courrier International », du « Journal du Mardi » et de la « Tribune de Bruxelles », de « pseudo-journaliste ». Il serait sûrement instructif de savoir ce qu’elle entend par « nous » dans cette phrase.

C’est assez triste qu’on doive ce travail de recherche à une seule personne : pourquoi n’y en a –t-il pas d’autres? Est-ce pour les mêmes raisons que M. Mehmet Koksal a arrêté son blog internet « Humeur allochtone » ? A ce propos il écrivait: « … la situation est devenue insupportable. Menaces et insultes, pression familiale et procès à charge dans les associations et cafés turcs, j’en ai marre de devoir expliquer des principes de base d’une société démocratique à des personnes qui refusent tout dialogue. » [source] Il est quand-même assez inquiétant pour la démocratie que des journalistes se trouvent à ce point intimidés. Et ça n’arrive pas n’importe où, mais dans notre propre commune à nous !

Ce même journaliste Koksal venait d’être tabassé par des manifestants lors de la manifestation illégale du 21 octobre 2007 [source], alors qu’il faisait son travail de journaliste ; il semble que dans les médias belges de langue turque, la nouvelle soit passée plutôt sous silence. Dans les heures et jours qui ont suivi, des jeunes turcs ont saccagé un café à St.Josse, dont le propriétaire est assyrien et le gérant arménien, ainsi qu’un magasin kurde. Il semble que les associations turques de Bruxelles n’ont pas d’avis là-dessus, contrairement, d’ailleurs, aux associations turques de Flandre qui condamnaient les agressions [source].

Que faire de cela ? Ce n’est pas la première fois que les partis belges sont confrontés à des individus ou des mouvances d’extrême-droite en leur sein : faut-il rappeler M. Bonvoisin (PS), M. Nols (PRL) et le CEPIC (PSC) ? Ce n’est pas du tout un problème limité aux seuls allochtones.

On peut peut-être se demander si la négation du génocide arménien par l’un ou l’autre élu peut avoir ou non des répercussions sur le fonctionnement de notre démocratie locale, une question que je ne veux pas discuter plus amplement ici,

[On a par exemple noté des paroles négationnistes de la part de notre échevin Sait Köse (MR) (Radio Pasa 21.10.2007, 18h00; [source]). Ou les paroles que le conseiller Halis Kökten (CDH) aurait prononcées à l’occasion d’une conférence négationniste [source].]

mais la présence de la pensée et de l’action antidémocratiques dans notre commune est sûrement un thème à suivre par une association qui était née du combat contre le bourgmestre Roger Nols.

M. Grimberghs disait lors de notre soirée que cela deviendrait difficile si un parti voulait suivre tout ce que ses mandataires disaient quelque part dans d’autres langues. Il a naturellement raison, on ne peut pas demander au chef de groupe d’un Conseil communal d’apprendre à parler le turc, l’arabe, le berbère, le kurde, le lingala, l’albanais, le chinois et un tas d’autres langues pour fonctionner correctement. (Le néerlandais serait peut-être déjà un bon début pour l’un ou l’autre…). Mais est-ce qu’on doit pour cela accepter que des élus multilingues disent dans une langue étrangère ce qu’on n’accepterait jamais d’un élu belge uni- ou bilingue ? Est-ce que des propos nationalistes et ra-cistes deviennent moins graves quand ils viennent d’un turc plutôt que d’un flamand ?

Les partis ne savent pas tout contrôler (c’est probablement même mieux ainsi…). On ne peut pas reprocher à une section locale de parti d’avoir de temps en temps un candidat sur sa liste dont on ne connaît pas les convictions antidémocratiques. Mais, à partir du moment où il s’avère que c’est le cas, le parti devrait en tirer les conséquences.

Cela ne veut pas dire que tout ce qu’une personne aurait dit ou fait dans un passé lointain devrait nécessairement le guider vers une démission. Si nous voulons démocratiser la société, nous devons aussi laisser une voie aux antidémocrates pour devenir des démocrates. Si donc quelqu’un se distancie clairement et publiquement de ses erreurs passées et s’engage à vivre en respect mutuel dans le futur, cela devrait suffire dans la plupart des cas. Bon nombre de politiciens qui démissionnent à cause d’un scandale quelconque le font parce qu’ils ont suivi une stratégie de saucissonnage auparavant : Il leur reste seulement à admettre et regretter peu à peu ce que d’autres rendent public au fil du temps. On peut douter des intentions de quelqu’un qui donne constamment l’impression de ne jamais tout dire…

Il semble aussi qu’on ait parfois affaire à des gens qui disent une chose en français et tout autre chose dans leur langue d’origine. Ce n’est pas vraiment nouveau non plus. Qui n’a pas encore vu un politicien dire autre chose face à des syndicalistes ou face à des patrons ? Mais cela signifie aussi qu’il ne faut pas oublier le contexte de leur action : Il y a pas mal de sociétés dans le monde qui sont beaucoup plus imprégnées du nationalisme, du fanatisme religieux ou d’autres idéologies antidémocratiques que la Belgique (oui, même la Belgique de 2007…). Comment voulons-nous « convertir » des politiciens issus d’un certain milieu sans tenter un changement de moeurs dans ce milieu même ?

L’écrivain allemand Klaus Mann notait en 1937 qu’il ne suffisait pas que lui-même soit antifasciste, il aurait fallu qu’il agisse aussi contre le fascisme montant. Mais il ne savait pas comment ! Les idées des Nazis lui semblaient si étranges, leurs écrits auraient pu l’être en chinois sans que cela ait aggravé sa compréhension des idées qui y étaient exprimées. Selon lui, l’homme refuse le plus longtemps possible d’admettre la possibilité que la plupart de ses concitoyens ont abandonné dans leurs pensées toute raison et toute logique depuis longue date…

[source: Klaus Mann: Der Wendepunkt. Fischer 1952, p.268-272.]

Il n’est pas aisé du tout de discuter avec des gens qui vivent dans une logique tout autre – ne parlons même pas de les convaincre. Et c’est cette dernière chose qui paraît comme la seule voie à suivre. Les extrémistes de toutes couleurs et de toutes langues ne s’évanouiront pas dans l’air. Il faudrait convaincre ces gens des valeurs démo-cratiques pour continuer de vivre avec eux dans le futur. Mais comment y arriver avec des gens qui vivent dans d’ autres univers linguistiques et médiatiques si on n’a déjà pas d’idée pour y arriver avec des gens qui parlent la même langue que nous ? Et comment y arriver avec des gens avec lesquels on ne parle de toute façon jamais au quotidien, même pas du temps qu’il fait ?

Un nouveau défi pour Démocratie Schaerbeekoise ? Qui aurait des idées, projets, propositions, énergies … ?

[Voir aussi: Assemblée générale du 13 novembre 2007 dans ce même numéro]