Article: Nous avons droit à un « bourgmestre en titre » – Hourrah!

Les signes ne nous trompaient pas: Monsieur était déjà député régional, candidat pour le fédéral puis élu, et ensuite nous avons pu l’admirer à la télé dans l’escorte de MM. Maingain et Reynders lors des négociations interminables de 2007: notre cher bourgmestre à nous aspirait à plus …

Depuis lors, M. Clerfayt a revêtu le titre de Secrétaire d’État, tout en assurant devant les caméras que sa fonction ne lui prendrait pas trop de temps et qu’il occuperait de toute façon un bureau à Schaerbeek [source, 25.3.2008]. Il semble en effet qu’on aurait rarement vu un secrétaire d’État avec aussi peu d’attributions, des attributions qu’il partage de surcroît avec un secrétaire dÉtat CD&V.

Mais oublions le niveau fédéral. Qu’est-ce cette situation signifie pour la commune? Qu’est-ce précisément qu’un « bourgmestre empêché »? A la « une » du Schaerbeek-Info, M. Clerfayt parade comme « bourgmestre » ; sur le site web de la commune, comme « bourgmestre empêché », et sur son propre site comme « bourgmestre en titre » [source]. Cette dernière expression, peu utilisée et juridiquement inexistante, étant une invention de « ceux qui acceptent mal d’être vraiment empêchés », apprend-on sur le blog d’Isabelle Durant [source]…

Passons vite la moquerie bien envoyée par les CDH [source], rappelant que la
Liste du Bourgmestre avait fait campagne contre Mme Onkelinx sur l’argument que la commune avait besoin d’un bourgmestre qui « soit vraiment présent ». Beaucoup plus intéressante est la question de savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose pour une commune que son bourgmestre soit « empêché »?

Qu’est-ce qu’un « bourgmestre empêché »?

La Nouvelle Loi Communale, toujours en vigueur, stipule:

« Est considéré comme empêché le bourgmestre qui exerce la fonction de ministre, de secrétaire d’État, de membre d’un Exécutif ou de secrétaire d’Etat régional, pendant la période d’exercice de cette fonction. » (Art.14bis)

Les interprétations de ce texte divergent. Dans les Annales du Sénat, nous trouvons à la date du 15 février 2001 une interpellation de Marie Nagy [source] qui rappelle que

« M. Louis Tobback, avait été amené, à la demande du député Henri Simons, à préciser en séance plénière de la Chambre que le bourgmestre empêché « ne peut porter l’écharpe tricolore, présider le conseil communal ou faire des déclarations publiques qui incombent normalement au bourgmestre investi de la plénitude de ses fonctions ». Il avait même considéré que le bourgmestre empêché devait faire preuve de discrétion au point de devoir s’abstenir d’écrire des articles à caractère politique dans le bulletin d’information communal. »

A la question de Mme Nagy visant à restreindre l’activité communale des « bourgmestres empêchés », le ministre Antoine Duquesne répondait à l’époque :

« … Le bourgmestre empêché reste, par conséquent, libre de s’exprimer en tant que bourgmestre. Il lui est, par contre, interdit de poser des actes qui ressortissent à la fonction, notamment présider le collège échevinal ou le conseil communal. En l’occurrence, dans cette affaire comme dans bon nombre d’autres, il s’agit probablement moins d’un problème de droit que d’un problème de déontologie. Il appartient à chacun d’apprécier la réserve dont il doit faire preuve compte tenu du fait qu’il n’assume pas effectivement la fonction. »

Le 20 février 2001, Mme Nagy déposait ensuite une proposition de loi portant sur l’interdiction pure et simple de tout cumul entre les fonctions de bourgmestre/échevin d’une part et de ministre/secrétaire d’Etat d’autre part [source], proposition qui n’est jamais devenue loi. Aujourd’hui, la loi communale est régionalisée, ce qui a amené la Wallonie à alléger encore les restrictions pour les bourgmestres empêchés, par l’article 1123-5 du nouveau « Code de la démocratie locale et la décentralisation » : en Wallonie, les « empêchés » peuvent à nouveau porter l’écharpe.

La situation légale étant assez floue, qu’est-ce qu’il est souhaitable?

Du fait de l’empêchement de M. Clerfayt, la plupart de ses compétences ont été transmises à Mme Jodogne, devenue donc « bourgmestre faisant fonction ». Et M. Clerfayt n’est plus considéré comme membre du Collège des bourgmestre et échevins ; il fallait donc installer un nouvel échevin pour le remplacer, ce qui s’est fait en la personne de Frédéric Nimal qui, si j’ai bien compris, suit de cette façon les traces de son père et de son grand-père.

En 2001, c’est du point de vue régional ou fédéral que Mme Nagy partait pour demander l’interdiction du cumul : un ministre ne peut être impartial s’il est en même temps bourgmestre. Mais, pour la commune, est-ce bien d’avoir un bourgmestre empêché plus une bourgmestre faisant fonction ? Ou non ?

Le premier réflexe est de dire : une commune de 115.000 habitants n’a-t-elle pas droit à – et besoin d’ – un bourgmestre à temps plein? Notre bourgmestre f.f. cumule déjà cette charge avec la fonction d’échevine de l’urbanisme, sûrement pas l’échevinat le plus léger !

Qu’en disent les politologues?

Les politologues distinguent deux types de systèmes politiques avec une forte position des communes : celui dit « nordique » où les communes ont beaucoup de compétences et de fonds propres, mais dont le personnel politique est complètement séparé des niveaux supérieurs ; et celui plus méridional où les communes ont beaucoup moins de droits et de fonds propres, mais où la forte présence des bourgmestres etc. dans les parlements et gouvernements confère aux communes beaucoup d’espace de manoeuvre. Les députés-maires français en sont un exemple. La Belgique fait aussi partie de cette deuxième catégorie.

En Belgique, le nombre de parlementaires nationaux avec un mandat au niveau national a fortement augmenté avec le temps. Au début du vingtième siècle, 30% environ des membres de la Chambre exerçaient en même temps un mandat communal. En 1991, la proportion était montée à 68% [Cf. aussi pour la suite: Johan Ackaert: De gemeenteradsverkiezingen, Leuven: Davidsfonds 1994, p.103-117]. Dans les années nonante, les trois quart des politiciens nationaux avaient commencé leur carrière au niveau communal. Les mandataires locaux récoltent plus de votes de préférence aux élections fédérales que les candidats sans mandat local. Une étude montre que seuls 4 des 162 parlementaires flamands qui se présentaient aux élections communales de 1988 n’ont pas été élus. Les partis obtiennent leurs meilleurs scores là où ils présentent des parlementaires. Les électeurs aiment donc le cumul, les partis perdent aux élections là où ils ne peuvent pas présenter de « cumulards »… Le travail parlementaire souffre cependant de la présence des bourgmestres : ils sont beaucoup moins assidus que leurs collègues qui ne cumulent pas. Je n’ai par contre pas réussi à trouver d’études traitant des effets du cumul sur la politique locale, questions d’indépendance, de direction, d’efficacité, …

La première femme bourgmestre de Schaerbeek…

M. Clerfayt semble d’avoir imposé la personne de Mme Jodogne, son assistante de longue date. Les bourgmestres empêchés sont libres de promouvoir l’échevin de leur choix comme bourgmestre faisant fonction. Étant donné la structure hétérogène de notre « Liste du Bourgmestre », ses membres ont des passés – et peut-être aussi des orientations idéologiques – très différents : je n’ai pas l’impression qu’une démission (forcée ou automatique) de M. Clerfayt aurait amené à l’élection de Mme Jodogne pour lui succéder.

Du Collège nous parvient la rumeur que l’atmosphère de travail se serait (beaucoup !) améliorée depuis le départ de M. Clerfayt. L’empêchement du bourgmestre aurait donc permis l’arrivée de la première femme bourgmestre de notre commune ? L’arrivée aussi d’une personne qui serait plus bénéfique à la commune que M. Clerfayt ?? Nombreux d’ailleurs dans la politique belge sont ceux qui ont vite et largement dépassé un rôle imaginé comme de pur remplaçant… Jean Gol se faisait remplacer par un certain Louis Michel. Quant au jeune Guy Verhofstadt, qui remplaçait-il encore à la tête du PVV ?

Quelle attitude prendre?

Alors, quelle attitude adopter ? Est-ce que nous devons nous fâcher parce que celui qu’on a plébiscité comme bourgmestre s’en va, parce qu’il ne s’en va pas complètement, parce qu’on a affaire à quelqu’un qui, cumulant des fonctions qui chacune mériterait de l’occuper à plein temps, ne semble pas prendre ses engagements au sérieux? Ou par contre devons-nous nous réjouir d’avoir enfin obtenu une femme bourgmestre, même si c’est ‘par la porte arrière’? Nous réjouir de ce que Schaerbeek est, plus que jamais, représentée au gouvernement fédéral ? Se féliciter d’assister à l’installation d’un secrétaire d’Etat qui a fait ses preuves au niveau communal, au lieu de quelqu’un qui sortirait de nulle part (ou – pire – de Namur) ?

Nous aimerions discuter de tout cela avec Jean-Benoît Pilet de l’ULB, qui va nous expliquer dans quelle mesure cette pratique de cumul est typiquement belge, et quels avantages et désavantages ce système présente en comparaison avec des pays où l’on ne cumule jamais … Venez le 24 juin discuter avec nous!

PS: En cas d’empêchement, le salaire du bourgmestre va entièrement au bourgmestre f.f., le « bourgmestre empêché » n’est plus payé par la commune.