Existe-t-il une identité bruxelloise ?
Telle est la question que je me posais à l’issue de la première soirée organisée le 31 mars dernier par Démocratie Schaerbeekoise dans le cadre des prochaines élections régionales.
La première partie de l’exposé de Caroline SÄGESSER, membre du CRISP, nous a retracé l’évolution de l’état belge depuis la fixation de la frontière linguistique en 1963. Celle-ci résultait notamment de la volonté politique flamande de contenir la « tâche d’huile » bruxelloise à majorité francophone dans la mesure où le recensement linguistique permettait jusque là aux communes qui le désiraient d’adopter un régime bilingue.
Depuis lors, la poussée nationaliste flamande et la volonté régionaliste wallonne ont mis fin à la « Belgique de Papa » en jetant les bases d’un état fédéral composé de communautés et de régions. Celles-ci reçurent en 1980 des institutions spécifiques sans que l’on touche à l’agglomération bruxelloise qui se trouvait ainsi « mise au frigo ». Il a fallu attendre 1989, il y a tout juste vingt ans, pour que la région de Bruxelles Capitale soit enfin organisée.
Dans une seconde partie, l’oratrice s’est efforcée de nous présenter avec une rare clarté l’extraordinaire complexité des institutions bruxelloises que je ne me risquerais pas à détailler ici, surtout que celles-ci apparaissent en constante évolution.
Retenons pourtant que, au niveau législatif, le parlement bruxellois est actuellement constitué de 89 membres, à savoir 72 présentés sur des listes unilingues francophones et 17 sur des listes néerlandophones et ceci, quel que soit le résultat du scrutin. Cette répartition inégalitaire résulte d’un compromis « à la belge » censé contenir l’extrême droite flamande qui risquerait sinon de bloquer les institutions. Dans le même esprit, la législation permet de présenter des « groupements de listes » pour la dévolution des sièges et l’exclusion des partis qui n’auraient pas recueillis 5% des votes dans l’un ou l’autre des groupes linguistiques.
Entre-temps, la région et la communauté flamande avaient fusionné pour former le parlement flamand tandis que les matières personnalisables à Bruxelles étaient réparties entre COCOF (française), VGC (flamande) et COCOM (bicommunautaire). Ajoutons, pour faire plus simple, que la COCOF a hérité de compétences supplémentaires pour des raisons budgétaires propres à la Wallonie en devenant dans les faits compétentes pour des matières bicommunautaires, ce qui constitue un tel imbroglio dans lequel rares sont nos élus qui y retrouvent leurs petits.
Que retenir de cet exposé sinon que, au départ, Bruxelles était une « région par défaut » dans la mesure où les bruxellois ont bien souvent été spectateurs de toute une évolution dans laquelle ils n’étaient demandeurs de rien, se contentant de souhaiter le maintien de leur statut de capitale belge et européenne. En ce sens, on est tenté de répondre par la négative à la question posée au début de cet article quant à l’existence d’une identité bruxelloise spécifique, même si cela commence à changer.
Mais d’abord, qui sont les bruxellois ? Que disent-ils d’eux-mêmes ? Ces questions fondamentales ne peuvent être traitées dans le cadre d’un bref article. Je me contenterai d’évoquer quelques constats de nature à éclairer le débat :
– Une première remarque intéressante est de constater que si Bruxelles regroupe environ un quart des francophones du pays, elle ne rassemble qu’un trente-cinquième de la population néerlandophone (environ la même proportion que celle des belges germanophones résidant à Bruxelles). Ceci explique que la minorité flamande à Bruxelles manifeste une identité spécifique face aux francophones mais peut être plus encore face aux autres néerlandophones dont ils se sentent souvent incompris.
– Une autre remarque, c’est le caractère multiculturel de la capitale qui fait qu’elle devient peut-être un ensemble de minorités. Près de la moitié des naissances à Bruxelles proviennent de couples issus d’une immigration récente dont la plupart n’ont d’ailleurs pas de droit de vote au niveau régional. Ce sont pourtant les bruxellois de demain.
– Autre constatation, c’est ce que j’appellerais le « communalisme bruxellois », j’entends par là le fait que la plupart des élus régionaux sont et se sentent d’abord des mandataires communaux plus soucieux des intérêts et des prérogatives de leur commune respective que de ceux de la région dans son ensemble. Cette mentalité est d’ailleurs partagée par une large fraction de leur électorat, ce qui engendre un repli sur la commune ou même sur son quartier au lieu de penser région.
– Autre question : qu’en est-il des habitants de la périphérie, quelle que soit leur langue ? Ceux qui viennent travailler tous les jours à Bruxelles se sentent-ils liés à cette région ? Il est un fait que la réalité économique, urbanistique et sociologique de Bruxelles déborde largement le cadre des 19 communes, ce qui rend d’ailleurs impératifs des accords de collaboration avec les deux autres régions.
– Enfin, la présence à Bruxelles des institutions européennes et de tant d’autres organisations ou entreprises internationales en fait un enjeu sans lequel sans doute la Belgique n’existerait plus à l’heure qu’il est. Qu’en est-il de tous ces expatriés qui résident plus ou moins longtemps dans la capitale ?
Le débat qui a suivi l’exposé de l’intervenante a permis de nuancer ou de préciser encore certaines questions :
– va-t-on simplifier les choses ? Il y a une tendance à regrouper certaines compétences au niveau régional (notamment en matière de mobilité et peut-être d’enseignement) et pour envisager un refinancement de celui-ci.
– mais sur quelles forces compter ? Constatons d’abord qu’il n’y a plus de parti national bilingue et que le clivage linguistique fait que la Flandre vire de plus en plus à droite tandis que la Wallonie s’ancre dans un conservatisme de gauche. De plus, les politiciens de la jeune génération ne se connaissent plus entre eux.
– mais encore ? Tenir compte aussi que rares sont les hommes politiques qui ont avant tout un profil régional, qu’une grande partie des habitants de Bruxelles n’ont pas de droit de vote au niveau régional (tous les étrangers), que même des mouvements comme les Etats Généraux de Bruxelles manquent de relais politique, il reste malgré tout la puissance remarquable du mouvement associatif, la voie judiciaire dans certains cas (pour corriger des anomalies criantes), une alliance inattendue peut-être avec la communauté germanophone …
– et l’Europe ? Donne bien sûr son importance à Bruxelles qui sans elle ne serait qu’une grosse ville de province. Elle fait probablement pression pour stabiliser les choses. Par ailleurs, l’état fédéral a perdu nombre de ses compétences au profit de l’Europe (pensons notamment à l’existence de l’euro qui nous a épargné probablement une crise monétaire majeure lors des remous politiques de ces derniers mois). L’Europe semble aussi intervenir de façon plus coordonnée au niveau urbanistique.
– et l’avenir ? Rien n’est inscrit dans les étoiles sinon qu’il faut prendre acte de la force encore croissante du nationalisme flamand qui laisse entrevoir à terme la disparition de l’état national tel que nous le connaissons (qu’arrivera-t-il si une majorité séparatiste se dégageait au niveau du parlement flamand ?). En effet, ni la Belgique, ni la Flandre d’ailleurs ne peut se prévaloir d’une promesse d’éternité (revoyons donc l’histoire de nos régions). Une identité est quelque chose qui se construit … et se déconstruit. L’avenir sera ce que les hommes en feront et sans aucun doute les élections régionales du 7 juin constitueront un moment important dans cette évolution.