bulletin 107 (4-6 2014): Edito : 6e réforme de l’Etat : des communes prises à la gorge.

Ce 1er juillet 2014, le second volet de la 6e réforme de l’Etat entrera en vigueur; celle – ci prévoit de transférer nombre de compétences fédérales aux Régions et Communautés. Pour faire face à ces nouvelles dépenses, une nouvelle loi spéciale de financement a été promulguée afin de transférer des moyens financiers supplémentaires aux entités fédérées. En période de « rigueur » budgétaire, une telle opération ne s’avère pourtant pas neutre : les recettes supplémentaires ne seront pas en mesure de couvrir l’ensemble des nouvelles dépenses. Les budgets régionaux et communautaires seront donc mis sous pression ; les communes, qui se trouvent au dernier échelon de la hiérarchie institutionnelle, risquent ainsi d’être durement touchées.

Parmi les compétences transférées susceptibles de répercussions sur le fonctionnement des communes figurent les aides à la création d’emploi. À Bruxelles, les contrats dits « ACS » (Agents Contractuels Subventionnés) permettent aux employeurs du secteur public d’embaucher de nombreux travailleurs grâce aux exonérations de cotisations sociales. Pour les trois régions, un montant de 241 millions d’euros a été prévu par les négociateurs de la réforme institutionnelle pour couvrir des dépenses qui s’élèvent pourtant à 309 millions d’euros (BERTHOLOME A., La sixième réforme de l’État, amie des communes ?, Mouvement communal, n°873, décembre 2012, pp. 8 – 14. ) … De surcroît, la répartition de cette enveloppe est peu favorable à la région bruxelloise puisqu’elle se base sur sa contribution – plus faible – à l’impôt des personnes physiques (IPP). Les Bruxellois représentent 10% de la population belge mais ne contribuent qu’à hauteur de 8,5% à l’IPP.

Un autre exemple est donné par les aides relatives à la remise à l’emploi des usagers émargeant aux CPAS. Les dispositifs dits « articles 60 et 61 » permettent aux CPAS – grâce aux exonérations de cotisations sociales – d’employer (ou de mettre à disposition d’employeurs privés) momentanément des allocataires sociaux le temps qu’ils retrouvent leurs droits aux allocations de chômage. Le transfert de cette compétence aux régions s’accompagnera de l’instauration d’une enveloppe « fermée » ; en d’autres termes, un montant fixe est attribué quel que soit le nombre de bénéficiaires. Dans le même temps, les politiques d’activation des chômeurs décidées par le gouvernement fédéral entraînent l’exclusion d’un nombre croissant de chômeurs, et donc, une augmentation consécutive des demandes vers les CPAS. Si les dispositifs destinés à soulager la pression exercée sur les CPAS – ce que permettent les « articles 60 et 61 » – ne peuvent suivre la cadence faute de moyens, les effets cumulés de la crise sociale risquent alors d’inciter les CPAS à exclure des allocataires à leur tour. Les conséquences en termes d’augmentation de l’extrême pauvreté seraient dramatiques. À titre d’exemple, l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) estime à plus de 6 millions d’euros le manque à gagner des CPAS wallons dans ce cadre ( Impacts de la sixième réforme de l’État sur les finances des communes wallonnes, avis du CA de l’UVCW du 16 octobre 2012.)

Les exemples similaires ne manquent pas ; ils traduisent le fait que, au-delà d’une lecture communautaire des plus réductrices, les transferts de compétences ont été l’occasion de faire passer « en douceur » un définancement des services publics. Parler de double peine serait d’autant moins caricatural que, parallèlement, la réforme de l’État a aussi été l’occasion d’accroître la participation des entités fédérées à l’assainissement budgétaire de la Belgique. Sous couvert des principes d’autonomie et de responsabilisation, les contraintes financières à leur égard se multiplient, ce qu’elles ne manqueront pas de répercuter sur les pouvoirs locaux sur lesquels elles exercent la tutelle et dont elles sont une source de financement majeure. Derniers maillons du mille-feuille institutionnel, les communes se retrouvent, par effet domino, à jouer le rôle du dindon de la farce. Et le financement complémentaire de la région bruxelloise ne change pas la donne : bien que doté d’une enveloppe de 460 millions d’euros, il reste encore insuffisant pour couvrir le seul coût des politiques actuelles (VERDONCK M., Analyse du volet « Financement complémentaire de la région de Bruxelles-Capitale », Bulletin de documentation, 73ème année (n° 2), 2ème trimestre 2013, SPF Finances, pp. 121-138.)

Pour la commune de Schaerbeek, une des plus pauvres de Belgique, les enjeux sont par conséquent criants. Peut-on néanmoins la considérer responsable de cette situation alors que les instruments dont elle dispose, en matière de fiscalité ou de création d’emplois, sont relativement limités ? Après la chasse aux chômeurs et aux allocataires CPAS, devra-t-on assister, résignés, à une chasse aux habitantspauvres ?