À l’approche des élections communales, la prochaine A.G. de Démocratie Schaerbeekoise sera consacrée au droit de vote des étrangers non européens. La loi qui reconnaît ce droit a été enfin votée, non sans drame, le 19 mars 2004 et la circulaire du ministre de l’Intérieur qui la met en œuvre est présentement envoyée aux Collèges des communes. Est-ce un événement et quel événement ?
C’est d’abord, rappelons-le, un événement longtemps et presque désespérément attendu. C’est à la fin des années 70, et à la lumière notamment des élections communales de 1976 qu’un bon nombre d’associations d’immigrés et de soutien aux immigrés s’unirent dans la coordination « Objectif 82 ». Il s’agissait d’obtenir le droit de vote et d’éligibilité pour tous les étrangers établis, pour les élections communales de 1982. On se rendait compte que, dans les communes où les étrangers, travailleurs immigrés et leurs familles, étaient nombreux et sans aucun poids électoral, le risque de les voir devenir boucs émissaires d’une propagande démagogique était grand. À Schaerbeek on était payés pour le savoir : c’était l’époque où l’administration communale ne se préoccupait des étrangers que pour leur endosser tous les maux de la commune. Le principe affirmé par la coordination était bien traduit par le slogan de son affiche : « Vivre, travailler, décider ensemble ». Mais un changement de gouvernement en 1981 allait mettre pour un temps le mouvement de soutien aux immigrés sur la défensive et la revendication en sourdine. La question rejaillit en 1994 en raison d’une directive de l’Union européenne qui reconnaît le droit de vote et d’éligibilité municipal aux citoyens de l’Union qui résident dans un État membre sans en avoir la nationalité. Le parlement belge modifie la Constitution mais remet à plus tard le vote d’une loi qui étendrait la mesure aux non Européens…
C’est ensuite un événement en un certain sens dépassé. Car, entretemps, la stabilisation de la population d’origine immigrée et les assouplissements progressifs de l’accès à la nationalité ont pour résultat qu’une grande partie de ceux pour qui on réclamait ce droit sont devenus Belges tout simplement. Les raisons pragmatiques de la revendication, qui la rendaient urgente, ont aujourd’hui disparu. Le phénomène est très visible à Schaerbeek : là où la démagogie xénophobe régnait souverainement en 1982, en 2000, toutes les listes démocratiques présentaient des candidats d’origine turque ou marocaine et ils sont plusieurs au collège.
C’est un événement toutefois nécessaire et qui reste capital. Pour des raisons de principe. Parce que ce qui fonde un droit à participer à la décision politique au plan local n’est pas la nationalité (belge ou européenne) mais la participation effective à la vie de la cité. C’est le slogan des origines : vivre, travailler, décider ensemble ; il faut se réjouir qu’il soit enfin reconnu et faire tout ce qu’on peut pour engager les personnes concernées à demander leur inscription sur les listes des électeurs.
C’est enfin, malheureusement, un événement tronqué. Car la loi du 19 mars 2004 introduit une double discrimination en défaveur des nouveaux électeurs. Ils obtiennent le droit de vote mais pas celui d’éligibilité, alors que ces deux droits sont liés en ce qui concerne les Européens. Et ils sont tenus d’introduire une déclaration par laquelle ils s’engagent à respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En leur imposant cette démarche, le législateur jette une suspicion sur tous les étrangers non-européens.
Il n’y a pas de raison de pavoiser. Mais on ne peut non plus bouder ce qui est tout de même une avancée, si mitigée qu’elle soit. La démocratie avance à petits pas. Il faut surtout espérer qu’une saine campagne de sensibilisation permette à pas mal de nos voisins d’exercer la part de responsabilité qu’on leur concède et, plus généralement, que la compétition électorale dépasse les jeux d’image et de pouvoir et s’attache aux problèmes de fond de la vie communale.