Suite … et fin

En matière de trépas, il est bon de connaître la différence entre un assassin et un médecin légiste (H/F). Le premier tue, le second est habilité à constater le décès. C’est du second dont il s’agit ici.

Qu’écrire à ce propos ? Un testament, une oraison funèbre, un procès-verbal, un constat ?

Lors de la réunion de l’« équipe porteuse » (le 11/12/2019) nous avons constaté que nos espérances pour renforcer l’équipe de travail n’ont pas été atteintes. Quelques jeunes se sont manifestés mais, malgré plusieurs appels, ils ne furent pas suffisamment nombreux pour assurer la relève. La viabilité des activités de D.S. ne pouvant plus être assurée, nous nous sommes autorisés à clôturer cette expérience, mise sur pied il y plus de 30 ans.

L’historique des origines est bien connu et a fait l’objet de plusieurs publications. Dans le bulletin trimestriel de mars 2019, Luc Uytdenbroek avait rappelé l’historique et les moments forts de ces 30 ans de citoyenneté active.

Nous tenons cependant à partager ici quelques réflexions de « spectateurs actifs et réflexifs » de la démocratie locale et communale.

La première, c’est que si la relève de l’équipe n’a pu être assurée, la participation à la démocratie locale a toutefois fortement évolué. La présence d’habitants aux séances mensuelles du conseil communal a augmenté, le nombre d’interpellations citoyennes également, sur les questions les plus diverses (enseignement, CPAS, mobilité, logement, parking, arbres et plantations, sécurité, piscine, etc.). Des collectifs citoyens se créent, notamment sur la mobilité et la sécurité routière, sujets qui concernent tous les quartiers de Schaerbeek, et ils ont un impact à la fois sur le pouvoir communal et sur l’ensemble des citoyens schaerbeekois. La tenue et le sérieux des informations et débats publics, majorité et opposition, ont quelque peu fait diminuer l’appétit des élus à transformer les assemblées en spectacles tonitruants, tragiques ou comiques mais assurément homériques. Enfin l’information du pouvoir communal sur le fonctionnement de l’administration, les règles et les décisions a fortement été améliorée en accessibilité et transparence. L’internet permet aux citoyens férus du numérique un accès toujours plus large et aisé à ces informations par le biais du site internet.

Les habitants et citoyens ont manifestement bénéficié d’avoir été pris plus au sérieux, d’être écoutés et entendus. En ce sens-là, la relève de D.S. est quotidiennement assurée par de nombreux habitants « adultes et responsables ».

Par contre, ce qui ne sera plus (ou pas encore) assuré, c’est la continuité de l’observation « neutre et critique » du pouvoir pour tout ce qui touche l’ensemble du territoire de la commune. Durant ces 30 années, quelle que soit la majorité, des citoyennes et citoyens sans aucun lien avec un parti politique particulier observaient et rapportaient ce qui était publiquement discuté et décidé. Cette organisation d’observation, mise en place il y a plus de 30 ans comme une des seules actions possibles et efficaces pour contrer un pouvoir otage d’une (extrême) droite raciste et anti-immigrée, a certainement contribué à réveiller les (bonnes ou mauvaises ?) consciences de certains et à faciliter l’expression publique d’une opposition politique. Après la publication de nos bulletins trimestriels (ainsi que de nos rapports des séances des conseils communaux et de nos assemblées thématiques sur des questions de politique communale), nombre d’élues et élus se devaient de faire connaître – souvent par écrit – leur approbation ou leur désapprobation. En tant qu’observateurs reconnus et quelque peu redoutés par certains, l’impact de nos discours obtenait « droit de cité ». Désormais ce ne sera donc plus le cas.

Faut-il regretter ce (nouveau) silence ? Oui et non.

Non :  parce que, désormais, la multiplicité des réseaux et des canaux sociaux capte souvent rapidement les dysfonctions et les protestations des habitants. Les caisses de résonance sont multiples et fonctionnent avec une grande amplitude.

Oui – il faudra le regretter – parce que « la généralité de l’observation sur l’ensemble du territoire de la commune » est désormais perdue et surtout celle des quartiers les moins riches. Cette observation solidaire et spécifique est désormais tributaire de l’action de réseaux et des canaux particuliers. Cette transversalité de nos regards critiques sur l’ensemble des questions politiques et sur un même territoire n’est désormais plus là. C’est aux élu(e)s à l’assumer et nous savons que cela se fera avec une sélectivité (toute) partisane. Peut-il en être autrement ?

Ceci est pour le moins inquiétant pour certains dossiers qui se déroulent dans un temps long et pour lesquels les antécédents historiques sont importants pour mieux comprendre la portée des enjeux sociaux et économiques.

Schaerbeek devient une commune qui, depuis l’expropriation de 10 ha au Quartier Nord (PPA 17/02/1966), a progressivement évacué et remplacé sa population ‘pauvre’ au bénéfice d’habitants moins pauvres. Bien sûr, les majorités successives arguent du fait que cette commune reste, selon les statistiques fiscales, une des communes les plus pauvres du Royaume. Le budget du CPAS atteste également que l’effort financier de la commune pour faire face à la pauvreté a, au cours des ans, considérablement augmenté. Indéniable à la vue des données officielles. Mais cette politique qui se veut généreuse, n’a pas empêché les loyers et les prix des logements de monter de façon vertigineuse, rendant le prix du logement de plus en plus cher. Or actuellement le pouvoir n’a l’intention ni de contrer cette évolution par un contrôle rigoureux des prix du loyer (cadastre des logements loués, encadrement des prix, réquisition systématique des logements vides ou abandonnés, etc.) ni de pallier cette évolution par un plan de construction massive et dispersée de logements sociaux.

Aussi, sachant que de nombreux locataires de logements sociaux émargent également au CPAS, limiter l’extension (trop ?) importante de logements sociaux sur le territoire de la commune, serait de nos jours faire preuve de bonne gouvernance ? Si la commune a échappé pour une part à une bruxellisation dévastatrice, elle accepte de bon gré et sans trop rougir, une vaste gentrification. Celle-ci se poursuivra inexorablement lors de l’aménagement des nouveaux sites (Josaphat, Cité des Médias et le long du parcours de la ligne du métro à construire). Nous ne pouvons que nous inquiéter à l’idée que la majorité actuelle n’inversera sans doute pas ce cours des choses. Mais désormais qui osera le dire et l’affirmer ‘objectivement’ ?

Ce même regard ‘objectif et critique’ ne se posera désormais plus sur bien d’autres dossiers : plus de rapports critiques du conseil de police, ni sur l’enquête commanditée par la commune sur les conditions de vie des femmes des bars et carrées proches de la gare du Nord, ni sur l’action sociale et la gestion du CPAS, ni sur la politique sportive ou la réouverture imminente du Neptunium, ni sur les rapports du médiateur (ombudsman /woman), etc. Bref sur ce qui tout au long de ces 30 années, a incarné la décision politique locale.

Enfin, nous devons aussi constater que le poids des décisions politiques communales s’est aussi allégé, soit par le haut, – par le transfert de compétences au pouvoir régional ou intercommunal – soit par le bas, vers des comités locaux (contrats de quartier).

L’observatoire observe et observera donc de moins en moins.

D.S. fut une expérience unique dont nous pouvons être fiers. Nous ne connaissons pas d’autres exemples de cette forme de vigilance citoyenne.

Elle fut.