Pourquoi Demol s’est écrasé ?
En passant de 4 sièges à 1, malgré la quasi absence de concurrence locale dans l’offre politique raciste et d’extrême droite, Demol est de loin le champion de tous les perdants de ces élections communales 2006.
On peut émettre diverses hypothèses sur ce qui a permis ce salutaire recul : relative discrétion du VB à Schaerbeek ? Perte par J Demol de son aura de « sheriff » qu’il portait encore il y a six ans ? Explication moins sympathique, mais à examiner : le vote populiste, ou réactionnaire ou très à droite n’a-t-il pas fait défaut à Demol en partie aussi parce que, sur plusieurs des listes « démocratiques » on trouvait d’excellents produits de remplacement : anciens nolsistes, obscurantistes ou nationalistes proches de certaines mosquées, loups gris etc. Ce serait une ombre au tableau réjouissant de l’aplatissement de Demol.
Mais je crois aussi à l’explication suivante : le succès de l’extrême droite ne se base pas tant sur un « rejet du politique » dans la population que sur une faiblesse de la politique réelle dans les jeux électoraux. Si les différences sont infimes, si les candidats qui s’opposent sur papier s’entendent sur presque tout le reste, l’électeur n’a guère de raison de vouloir jouer le jeu, et la proposition de « dire merde au système » peut sembler plus attirante.
L’arrivée de Laurette Onkelinx il y a 6 mois a eu ce grand mérite : elle a créé un enjeu politique réel, pas simpliste mais simple à comprendre. Nous sommes nombreux à avoir été choqués par ce parachutage dans le désert permanent que semble être le PS à Schaerbeek (voir ci-après) ; et pourtant avec le recul je lui sais gré d’avoir posé un défi à B. Clerfayt, provoquant ainsi un affrontement dont l’enjeu, pour les schaerbeekois, est significatif. Je crois que beaucoup de Schaerbeekois-es ont cru (avec raison) qu’ils avaient, cette fois-ci, un mot à dire (un autre mot que m…), et qu’ils ont dès lors renvoyé le guignol Demol à sa place : les oubliettes.
Sur l’apparente infertilité du socialisme en terres schaerbeekoises
Schaerbeek est l’une des communes les plus peuplées de Belgique ; c’est une commune populaire, et qui a une réputation non usurpée de vie intellectuelle et sociale. Schaerbeek doit donc, en toute logique, être un terroir de choix pour le grand parti progressiste représentant historiquement les intérêts des classes populaires, et devrait fournir à toute la région bruxelloise, si ce n’est au monde entier, des militant-es et des cadres socialistes en qualité et en quantité.
Pourtant, depuis le si peu regretté Guy Lalot, il semble qu’il faille sans cesse, en dépit du 2ème couplet de l’Internationale, importer des sauveurs suprêmes, qui s’installent chez nous le temps d’un échec électoral. Or nous connaissons tous, dans le milieu associatif (et dans le milieu de la liste), des militant-es PS crédibles, sympa et sérieux-ses. Quel plafond de verre empêche ces surgeons de pleine de terre de pousser jusqu’en haut de la liste, ou jusqu’à un échevinat ? (on n’insistera pas sur le souvenir laissé par M. Lahali à l’instruction publique …)
Tous ceux qui aiment d’un amour sincère et désintéressé Schaerbeek et le socialisme (voire même le PS), n’ont-ils pas l’envie et le droit de conseiller à la section communale de penser, pour dans 6 ans, à « compter sur ses propres forces » comme le demandait Gramsci ? Ou bien j’ai rêvé ?
La mort prématurée d’un olivier artificiel
Comme beaucoup de citoyens, je ne peux éprouver, a priori, que de la sympathie pour l’idée de l’olivier. En général. Mais celui rêvé par les 3 directions locales (ou régionales ?) n’était pas viable : les appareils du PS, d’Ecolo et du CDH ont commis ensemble une faute politique (négocier un accord secret, en nier continûment l’existence, y compris au sein des 3 sections locales), qui était aussi une faute d’appréciation : le projet, conçu longtemps à l’avance, ne prenait pas en compte la réelle popularité du bourgmestre et le bilan positif de son travail avec Ecolo ; ni la faiblesse historique du PS à Schaerbeek – comme si l’arrivé de la fée Laurette allait changer cette donne d’un seul coup. Le seul des 3 partis qui avait un intérêt évident, il y a près d’un an, à signer cet accord secret, c’était bien sûr la PS : bien joué … le premier coup. Il est intéressant de voir comment CDH et Ecolo ont négocié, très différemment, la suite de l’histoire …
Ecolo : dérapage contrôlé ?
En politique, il faut parfois choisir entre honnêteté et efficacité : parfois une faute morale paie une victoire tactique – ou inversement. En partageant, à l’époque, avec le PS et le CDH la faute politique que constituait cet accord secret (et nié), la direction d’Ecolo Schaerbeek commettait en même temps une erreur tactique qui aurait pu coûter très cher.
Pour la faute politique, on nous promet que ça n’arrivera plus. Ouf. Mais a-t-on bien mesuré que seule une chance de pendus a évité à Ecolo de payer cette faute par une défaite majeure ? Dans les dernières semaines avant le scrutin, l’opposition de la base locale, et d’une grande part de la population, à la perspective de voir Ecolo faire l’appoint du PS commençait à imposer la nécessité d’un revirement. Mais si Laurette avait fait un score un peu moins mauvais (simplement 2 sièges en plus), par quel argument Isabelle se serait-elle débarrassée de l’impossible ménage à 3 projeté ? Mais en même temps, comment aurait-elle vendu à la section locale une majorité reposant sur les épaules diversement gracieuses et socialistes de Laurette, de J-Pierre Van Gorp, d’E. Ozkara et de M. Denizli ? La vérité est, me semble-t-il, qu’en maintenant le PS sous le niveau de flottaison, les électeurs ont sans s’en douter sauvé la direction d’Ecolo Schaerbeek d’une situation intenable, en lui fournissant une raison valable de prendre, en dépit de l’accord fait au niveau des appareils, la décision qui s’imposait.
Car, le mal étant fait, la seule bonne décision, le 8 octobre, (et qui fut, cette fois, démocratique et unanime) était de soutenir B. Clerfayt. Et si l’histoire commençait par un coup de chapeau tactique à Laurette pour l’accord qu’elle avait su imposer i l y a un an, elle se termine provisoirement, par une belle réussite pour Ecolo, qui apparaît comme celui qui a fait respecter la voix de la majorité des Schaerbeekois. Même si la trajectoire de cette réussite ressemble à un dérapage mal contrôlé, où erreur et coup de chance ont compté, avec aussi le poids de la base locale face aux logiques régionales et abstraites.
Le pécheur sera puni par là où il a péché. (Luc, 35, 174)
Il y aurait eu de bonnes raisons pour que la majorité s’ouvre au CDH ; Ecolo aurait pu chercher à rééquilibrer un peu le rapport de forces vis-à-vis de la liste du bourgmestre (liste qui compte quand même, cachés derrière la figure sympathique de son leader, quelques vieux et moins vieux crocodiles du libéralisme schaerbeekois). Et pour la liste du bourgmestre elle-même, deux appuis (chacun, dès lors, moins indispensable …) auraient assuré plus de stabilité. Enfin, les lecteurs de Démocratie reconnaîtront sans doute que l’opposition de D. Grimberghs a souvent été constructive, le CDH se posait en candidat à « continuer le changement » …
Lui a-t-on proposé de s’associer à la majorité ? Si oui, pourquoi aurait-il refusé ? Les enjeux régionaux et d’appareils ont-ils, au CDH, pesé plus lourd que les préférences de la base – à l’inverse de ce qui s’est passé à Ecolo ? Protéger J. Milquet était-il pour les uns plus important, ou plus contraignant, que, pour les autres, soutenir H. Simons. L’ironie de la chose est qu’ayant si bien nié être lié, le CDH pouvait plus difficilement, ensuite, reprocher à Ecolo de violer ledit accord inexistant …
Sur le marketing ethnique
Avec tous les militants antiracistes et pro-droit de vote des étrangers, nous devrions déboucher les bouteilles : à Schaerbeek, beaucoup d’étrangers ont pu voter (le plus souvent grâce à la naturalisation, plus rarement grâce à la nouvelle et pesante loi). Mieux : beaucoup d’eux sont élus. Je vais me permettre de verser un peu de vinaigre dans ce champagne, en espérant que l’ancienneté de mon engagement antiraciste m’évitera d’être lapidé tout de suite, ou, demain, tondu sur la place Colignon…
Sur les 13 élus PS, 10 sont issus de la population arabe et turque. La liste CDH atteint presque la même proportion, avec, sur 5 conseillers, 2 élus d’origine turque et 1 d’origine marocaine. Je les félicite, et me réjouis du succès de (presque) chacun-e d’entre eux individuellement, mais je m’interroge : est-ce bien ce que nous voulions, dans le combat que nous menons de longue date pour une démocratie représentative de la diversité réelle de notre commune ?
Et, tant qu’à poser des questions impolies, ce succès a-t-il à voir avec la déroute des candidates (femmes) du PS ? Avec 4 élues sur 13 (31%), cette liste tirée (et imposée) par une femme politique de choc est finalement la plus « macho » … Je note en tout cas que les votes de préférence ont fait que, dans les 10 premiers candidats PS, 3 ne sont pas élus … et que ce sont 3 femmes « d’origine belge » …
Chacun connaît le jeu habituel qui consiste à remplir les listes (tantôt un peu, tantôt beaucoup), au delà des « pros » de la politique, avec des figurant-es, choisi-es pour leur bonne tête, leur popularité locale et (dans les bons cas) leur accord global avec les options du parti. Mais ces résultats-ci ne donnent-ils pas l’impression qu’on est cette fois allé un pas trop loin dans la communautarisation du marketing électoral (comme l’affaire Denizli l’a révélé avec éclat) ?
Je sais bien que je vais faire me faire des ennemis avec ceci ; qu’il y a parmi les élus issus de l’immigration des militants associatifs ou politiques à part entière, et depuis belle lurette : je pense par exemple à M. El Khattabi ou à Tamimount à Ecolo, à Derya Alic ou S. Bouarfa au PS, à M. El Arnouki, à bien d’autres sûrement que j’oublie ou que je ne connais pas.
Mais je formule ici le vœu que la mode du marketing ethnique ait une fin. Je fais le pari que nos concitoyens arabes, turcs, albanais, ou d’Afrique noire finiront pas se rendre compte que voter pour quelqu’un qui parle sa langue ou partage sa culture est un argument plutôt valable, mais insuffisant ; et qu’à l’avenir cela ne suffira pas, qu’il faudra peut-être pour être élu-e non seulement exposer son patronyme, mais aussi son projet et son bilan. Que si la proximité est un critère intelligent de choix politique au plan municipal, il est d’autres proximités que communautaires.
Un jour, (dans 6 ans, j’espère) le temps qui fait tout bien aura fait son œuvre : certains des « élus surprise » de ce scrutin se seront découvert une vraie passion pour la politique (et peut-être même, qui sait, dans le parti où ils ont commencé) ; d’autres, sans doute, auront expérimenté qu’il s’agit d’un engagement difficile, de longue haleine, qui requiert bien des compromis, et permet assez peu, ou assez mal, de faire fonctionner dans l’autre sens l’ascenseur ethnique.
Reste donc l’espoir que ces opérations de pêche au filet de candidat-es susceptibles de ratisser large dans des communautés qu’on croit seulement capables de s’intéresser à la politique par le versant ethnique auront un effet positif à moyen terme : celui d’avoir aspiré dans le personnel politique des personnes d’histoires et de cultures diverses, dont certaines y resteront à l’avenir, de plein droit, non pas « pour leur couleur de peau », mais pour leurs compétences et leurs convictions politiques … sans que cela suppose de renier leur histoire et leurs multiples appartenances.
Felipe Van Keirsbilck (avec de judicieuses observations d’Isabelle Verhaegen)