Une cinquantaine de personnes, des citoyens surtout, quelques élus aussi, et le Secrétaire communal, étaient réunis ce mercredi 27 novembre dans la majestueuse salle du Conseil communal pour débattre du thème de l’ombudsman communal, avec une belle affiche rassemblant quatre spécialistes du sujet, voire de la fonction.
D’entrée de jeu, Bernard CLERFAYT reconnaissait que l’installation d’un ombudsman communal est au programme de la majorité depuis dix ans, mais que Schaerbeek n’en a toujours pas, pour des raisons de coût, d’organisation, de manque de définition précise, mais aussi parce que les conseillers communaux risqueraient d’y … perdre un peu de leur rôle ? Cette soirée devrait être l’occasion d’y voir plus clair sur les avantages et les écueils de cette institution.
Malte WOYDT lance, lui, le sujet au nom de Démocratie schaerbeekoise, qui travaille depuis 25 ans – et avec succès – à rendre la Commune plus démocratique. Les avantages, il les connaît bien : il s’agit d’utiliser la ressource que représentent les citoyens, en ce qu’ils savent ce qui va et ce qui ne va pas, et d’avoir une administration qui travaille bien et ne gaspille pas l’argent. Ne pas traiter les plaintes de façon structurelle, c’est prendre le risque de citoyens déçus, et propageant le mécontentement dans leur environnement, aussi impuissant qu’eux à faire changer les choses. Il faut donc un service des plaintes qui donne des réponses aux citoyens, et fasse des recommandations, ponctuelles ou plus générales (sur la base de la vue d’ensemble qu’il aura sur le nombre de plaintes) pour que des solutions structurelles soient apportées. Notre ombudsman devra pouvoir traiter non seulement ce qui relève de l’administration communale, mais aussi de la zone de police, du CPAS et des ASBL paracommunales. Et personne n’a à le craindre : les associations pourront s’inspirer de son travail, les fonctionnaires pourront peut-être, eux aussi, faire des recommandations et leur environnement de travail sera plus agréable face à des citoyens satisfaits ; quant aux politiques, ils recueilleront les fruits de la satisfaction du citoyen ! Alors, demande Malte : « Pendant combien de temps allons-nous encore attendre cet ombudsman communal, qui est évoqué, voire promis depuis trois mandatures ?! »
Ensuite c’est une présentation plus juridique qu’apporte l’avocat Jean BOURTEMBOURG, spécialiste en droit administratif. L’ombudsman est une autorité administrative indépendante. Au niveau fédéral, il est nommé par le Parlement, pour un terme renouvelable. Sa fonction est de :
– recevoir les réclamations contre les mauvais fonctionnements,
– engager une médiation,
– investiguer,
– sensibiliser l’autorité pour corriger le fonctionnement des services.
Alors que le juge se prononce sur le droit, l’ombudsman se prononce sur l’équité, et tente de résoudre les conflits par la conciliation. La simplicité de la procédure permet un coût beaucoup moindre : objecter, comme un certain parlementaire, les 2.500 € que coûterait chaque dossier ouvert chez l’ombudsman, c’est oublier un peu vite que le coût d’une procédure judiciaire est bien pire, et que personne n’en sort indemne, pas même le gagnant … En vérifiant si l’administré a été bien traité, l’ombudsman offre un surcroît de protection au citoyen. Même en l’absence d’illégalité, il peut proposer des solutions adéquates et équitables, qui soient mises en oeuvre au bénéfice de tous les citoyens, alors que la justice est toujours individuelle.
Le juriste a quelques suggestions à présenter pour perfectionner l’institution :
– pour lui permettre d’être une véritable alternative à la bataille juridique, il faut prévoir de suspendre tous les délais en cas de saisine du médiateur ;
– il serait utile de réfléchir au cadre légal de la « recommandation en équité », à articuler vraisemblablement avec la notion de « responsabilité sans faute » ;
– vu la complexité du système belge, il faut envisager d’instaurer un guichet unique, qui aiguillerait la plainte vers le service compétent (même si celui-ci resterait disponible pour recevoir lui aussi des plaintes en direct) ;
– il est important enfin de clarifier le vocabulaire, le mot de « médiateur » recouvrant d’autres concepts assez différents (régler un conflit entre deux personnes, traiter pas toujours gratuitement les plaintes des clients).
Jean BOURTEMBOURG rappelle que nous avons à faire ici à un modèle suédois datant de 1809, qui a essaimé avec succès dans le monde entier, tandis que la Belgique restait à la traîne. Si l’on trouve de nombreux ombudsman dans les entreprises publiques et dans le privé, c’est seulement dans les années 1990 que les différents niveaux de pouvoir belges se sont dotés de médiateurs. Symptomatiquement, après que les autorités aient pris conscience d’un terrible déficit de confiance à leur égard dans la population, et dans un contexte de réorganisation des pouvoirs publics dans le sens de plus de démocratie. Un décret flamand pris en 2005 impose désormais l’installation d’un système de traitement des plaintes, la fédération Wallonie-Bruxelles a rassemblé ses services de médiation et propose des accords de coopération pour agir au niveau inférieur. Et toute intercommunale doit désormais adhérer à un service de médiation. La question semble donc être, non si nous aurons un médiateur communal, mais quand l’aurons-nous ? Quant aux réticences du pouvoir à l’installer, elles sont généralement de deux ordres : financières, mais aussi clientélistes ! L’ombudsman a en effet vocation à se substituer aux permanences sociales offertes par certains politiques qui attendent alors en retour la reconnaissance du citoyen … Cette raison à elle seule mérite que DS persévère dans sa revendication.
La parole ensuite à Bernard HUBEAU, qui a été ombudsman successivement de la ville d’Anvers et de la Région flamande : pour lui, Complaint is a gift from Heaven ; il faut voir les plaintes comme une opportunité d’améliorer les services ; écouter objectivement les citoyens ne peut que renforcer la légitimité du pouvoir. Voilà donc la plus-value qu’apporte un service d’ombudsman. Pour assurer un fonctionnement idéal, il faut un service :
– très accessible, autrement dit gratuit,
– professionnel, càd qui se consacre à part entière à un traitement sérieux des plaintes selon une procédure adéquate (pas forcément compliquée mais montrant qu’on prend la plainte au sérieux),
– qui soit en bons termes tant avec l’administration qu’avec le pouvoir (en effet, l’ombudsman n’est pas l’ennemi des fonctionnaires : il veut les aider à résoudre les dysfonctionnements et, pour apporter des solutions amiables, il a besoin d’eux),
– indépendant
=> vis-à-vis de l’administration : il ne doit pas avoir à lui rendre des comptes ;
=> vis-à-vis des citoyens ;
=> vis-à-vis des politiques : l’ombudsman doit être mandaté par le Conseil communal, et se situer haut dans l’organigramme, pour être évalué non sur le plan hiérarchique mais uniquement sur le plan moral.
Cette indépendance peut effrayer les politiques. Le principe en est pourtant mondialement acquis aujourd’hui. Et il est fondamental (on comprendra plus tard dans la soirée qu’à Seraing, l’ombudsman n’a pas duré parce qu’il était également l’attaché de presse de la Commune et, très proche du bourgmestre, se trouvait régulièrement prié de … « la fermer » !!).
Enfin, il lui faut les moyens pour être une personne de confiance : le staff anversois compte six personnes en plus de l’ombudsman, ; du temps de Bernard HUBEAU, elles étaient même neuf – toutes des femmes, beaucoup plus « pratiques », nous dit-il, dans un contexte de conciliation !!
Quelques chiffres pour finir : à Anvers, il recevait un gros millier de plaintes par an (les services les plus concernés : l’urbanisme, la police et les sociétés de logement). On peut compter qu’en moyenne, 20% des plaintes ne sont pas fondées, sans compter les plaintes qui sont en fait davantage des demandes d’informations.
Jean-Luc LABBE, médiateur de Charleroi depuis 1999, se présente comme un « rescapé » en Région wallonne, où plusieurs expériences ont donc échoué. S’il est heureux que Charleroi soit pionnière avec ce service de bonne gouvernance, qui cohabite avec de la médiation de quartier, il porte très honnêtement un regard mitigé sur sa situation : ce mode de résolution des conflits ne s’impose pas encore comme une évidence … Sa devise pourrait être : « Venez vous plaindre. Si vous ne savez pas pourquoi, l’administration, elle, le sait ! » Mais les politiques à Charleroi ne promeuvent pas assez son service au sein de la population, et ne reconnaissent pas vraiment sa légitimité …
Il voit l’ombudsman comme un service « autodestructeur », qui formule des recommandations (d’améliorations techniques ou de réforme de règlements communaux) pour … éviter d’autres réclamations ! Le grand bénéficiaire de son service, c’est le citoyen en tant qu’individu, lorsque ses demandes légitimes sont rencontrées, lorsqu’il reçoit des explications dans un langage compréhensible, quand son dossier « sort des oubliettes », quand face à l’inertie d’un pouvoir public, une solution concrète est trouvée. Tout ceci se faisant dans un cadre juridique très strict : « défenseur des citoyens », c’est un titre dont Jean-Luc LABBE ne veut pas, car on ne peut pas faire de la médiation dans tous les domaines (on a notamment parlé des délais de la justice, qui courent), et il s’agira toujours d’effectuer une analyse objective du problème.
Enfin, Jean-Marie LIENARD, qui travaille avec le médiateur de la Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment sur des expériences-pilotes avec Sombreffe et Esneux, détaille les points de plus-value qu’apporte la médiation par rapport aux autres formes de règlement des conflits :
– la gratuité (le service est mis à la disposition du public),
– la souplesse, pas trop de formalisme (même s’il y a un minimum de règles à respecter : ne pas rester anonyme, avoir déjà contacté l’administration pour tenter de résoudre le problème en direct, et ne pas invoquer des problèmes vieux de plus d’un an),
– la rapidité,
– l’avantage psychologique (on n’est pas dans une relation conflictuelle : la dimension de coopération entre le médiateur et l’administration est en soi un gage de succès pour résoudre le conflit).
Certes, il faut que la Commune soit prête à mobiliser au moins une personne, on ne peut donc pas minimiser l’aspect financier. Et il faut que le pouvoir local soit sensible au principe de la médiation. On comprendra plus tard qu’à La Louvière, faute de motivation et de soutien du pouvoir (« La médiation, ça ne fonctionne pas » !), le service n’a … naturellement pas fonctionné. Dernière entrave possible : quand c’est un élu qui intervient pour résoudre une difficulté, la récupération politique n’est pas loin ; le service d’ombudsman ayant pour but d’objectiver le rapport citoyen-administration et donc d’éviter ces récupérations, il peut se trouver des politiques qui ne le souhaitent pas …
Les intervenants ajoutent leur vision sur le profil d’un bon ombudsman : apolitique, et sans ambitions dans ce domaine (à Charleroi, il doit ainsi prendre l’engagement de ne pas se présenter aux élections pendant au moins six ans après sa sortie de service), l’idéal est que sa personne fasse l’objet d’un consensus au sein du Conseil communal. Il sera spécialiste dans le traitement des plaintes, et de taille à exercer une magistrature d’influence. Par contre, il n’est pas nécessaire qu’il soit spécialiste dans toutes les matières. Eviter enfin un médiateur « redresseur de torts », qui taperait sur les doigts de tous, ou quelqu’un de trop enclin à l’empathie, qui voudrait toujours donner raison aux réclamants, et ne résoudrait rien sur le long terme. Pour son indépendance, il est important de pouvoir lui offrir un grade équivalent à celui du Secrétaire communal. On prévoira utilement une limite dans le temps à son mandat, et la possibilité que le Conseil communal le démette de ses fonctions. Et on marquera son indépendance par des signes clairs, comme un bureau en dehors de la Maison communale.
Les questions de la salle permettront de clarifier davantage le terrain d’intervention de l’ombudsman :
– un pouvoir d’investigations lui est conféré par les textes qui instituent le service ; le corollaire en est le devoir de confidentialité, et l’obligation de rédiger un rapport de chaque rencontre qui intervient avec un agent communal ; à Charleroi, le médiateur n’a jamais rencontré de difficultés pour accéder aux documents (« Ce serait contre-productif ») ;
– l’avis de l’ombudsman n’est toutefois jamais contraignant ;
– sur la base de l’expérience d’Anvers, le pourcentage de plaintes au total fondées et résolues s’élève à maximum 65% des plaintes introduites, certaines étant d’ailleurs très personnelles et spécifiques et donc guère susceptibles d’avoir un effet plus large (par exemple sur un service, ou pour changer un règlement communal qui présenterait un effet pervers) ; ceci fait dire à Bernard HUBEAU qu’il ne faut donc pas avoir d’attentes trop élevées sur un service d’ombudsman communal, par exemple dans la perspective qui est celle d’Amnesty International, de mettre les droits humains au centre de la politique communale ;
– l’ombudsman n’a non plus pas vocation à intervenir sur des questions où la légalité du comportement d’un service municipal est en cause ; dans un tel cas, il faut aller en justice – dans les délais (c’est ce qu’il a fallu faire dans l’affaire des hôpitaux anversois) ;
– il ne peut pas juger de l’opportunité d’une décision politique (il ne peut par exemple pas critiquer telle taxe sur les façades délabrées, mais il peut intervenir sur la façon dont a été effectué le métrage d’une façade) ;
– l’ombudsman du SPF Justice n’est pas non plus compétent pour contester le classement sans suite d’un dossier (il faut demander qu’un juge d’instruction soit saisi, ou déposer une plainte devant le Conseil supérieur) ;
– les questions de droit du travail sont généralement hors de sa compétence ; son « coeur de cible », c’est le citoyen.
Que pourrait-il faire par exemple dans les conflits répétés au sujet de la propreté publique assurée par endroits à Schaerbeek par les services régionaux ? Etant donné qu’il n’y a pas d’ombudsman à la Région bruxelloise à ce jour, il pourrait développer des actions avec d’autres services, notamment contacter l’instance en question ; même si cela sort du champ de ses compétences, des solutions pourraient peut-être être trouvées.
Et au sujet des expropriations qui interviennent actuellement le long des voies Gare du Nord ? Il faut agir sur deux plans : examiner si les expropriations sont effectuées dans la légalité, et si la Commune respecte les « principes de bonne administration » dans son accompagnement des personnes impactées (notamment sur le relogement) : sur ce deuxième plan intervient l’ombudsman.
L’ombudsman est donc, dans les limites de sa saisine, un outil pour perfectionner la bonne gouvernance. Un conseiller communal de Forest s’impatiente : pourrait-on créer un groupe de travail intercommunal pour accélérer la mise en place d’ombudsman dans les communes bruxelloises ?
Rapportons pour terminer le vibrant plaidoyer de Jean BOURTEMBOURG pour un service de médiation communale : la réussite du service ne se limite pas au nombre de plaintes résolues ; souvent, lorsque le dossier a été bien construit au niveau de la médiation, le juge en tient compte pour rendre sa décision ; restaurer la confiance entre l’administration et les citoyens, c’est restaurer un peu de démocratie vivante, ce qui aura toujours des effets considérables, même s’ils ne sont pas quantifiables !
Il fixe en conclusion un prochain rendez-vous à l’assemblée : revoyons-nous donc un an après l’installation du service !